Conférence de Serge RAVANEL
23 novembre 2000
Sommaire
Pourquoi les jeunes d'aujourd'hui s'intéressent-ils à la Résistance alors que nous ne prêtions guère d'intérêt à la guerre de 14-18, pourtant beaucoup plus proche de nous?
C'est que la Résistance a fabriqué des valeurs.
D'autres Résistances (belge, hollandaise ...) ont été des résistances de combat. La Résistance française a été une résistance de combat et de réflexion.
La singularité nationale s'est manifestée par l’invention d'une stratégie - cf les maquis autour de Romans-Petit (1) - et l'élaboration du sens de l'action, en direction de l'avenir.
L'armée française a été battue en pratiquement huit jours, d'où traumatisme et débandade. Était-ce la décadence nationale? Il n'est pas étonnant que le ralliement à Pétain, grand soldat qui se présentait comme le sauveur et l’auteur de la "révolution nationale", ait été très majoritaire.
Une Résistance sans rien dans les mains (alors que nos armées équipées avaient été écrasées), uniquement par dignité et au nom de la liberté, paraissait absurde, déraisonnable dans ce : "Nous ne marchons pas !"
Analysons la Résistance:
- Son origine: tous les milieux sociaux. Isolés au départ, et considérés comme des fous, ces gens si différents se sont ensuite tendus la main, révélant leur aptitude à une UNITÉ qui s'est consolidée à toutes les étapes: il n'y eut pas de scission de la Résistance en France, comme on l’a vu ailleurs.
- La France est le seul pays sous domination hitlérienne à garder le gouvernement précédent: Pétain le 16 juin 1940 est maintenu au pouvoir dans l’"État Français" y compris en "Zone Nord", où l’"administration française" était aux ordres des Allemands. La Résistance est née à partir de la réflexion, de l’idée.
- Le général de Gaulle est un homme seul, de même que en France, d'autres hommes qui vont résister, sont seuls. Ils resteront peu nombreux: pas plus de 50.000 à ce moment; les généraux n'étaient pas dans le cœur des Français. Il a fallu qu'en 1942 Christian PINEAU, de "Libération-Nord", soit mandaté pour se rendre à Londres et rencontrer de Gaulle: "Oui, je rétablirai la République et la Démocratie!" D'où le retournement de la Résistance en sa faveur.
Les gouvernements belges ou hollandais étaient reconnus par les Alliés, mais pas celui de de Gaulle. D'où le drame d'Alger, où le gouvernement de Vichy était représenté par l'amiral Darlan le 8 novembre 1942.
Ainsi s'établit le processus de Résistance:
- "On ne marche pas": esprit de Résistance.
- Esprit de "la Résistance - spécificité française": rétablir la démocratie avec des hommes nouveaux, qui ont appris la lutte, car la Résistance est de nature "locale". Elle a surgi d'en-bas sans préparation, et construit la solidarité et l'engagement citoyen: par exemple, en juin 45, la France était truffée de 6 millions de mines; or, Raymond Aubrac, chef de l’Office de déminage, a trouvé autant de démineurs qu'il en a voulus.
- En 1944, le Programme du CNR avait une éthique, des principes (presse libre, indépendante des puissances de l'argent, pas de publicité), avec des valeurs universelles, des valeurs civiques, des droits plus grands avec des responsabilités plus grandes - vivre les uns avec les autres -, tolérance ... )
- La Résistance a fabriqué des individus nouveaux, décidés à donner l'exemple. Ainsi, après la guerre, des parents s'interrogeaient: Ai-je le droit de laisser mes enfants jouer avec des objets de guerre?
- Il y avait aussi des valeurs de capacité morale: le refus de l'inacceptable conjointement avec l’aptitude à s'engager.
Telles étaient les singularités de la Résistance française.
II. DÉBAT
De quoi faut-il se méfier de nos jours?
Les problèmes surgissent par milliers. Le problème climatique est important, car la constante de temps est de l'ordre de 20 ans. Dans trente ans, les dégâts seront considérables. Prenons l'exmple de "la vache folle": les règlements existaient, mais ils n'ont pas été appliqués, ou mal: les farines doivent être cuites à 130 degrés pour détruire les prions. Les sanctions ont manqué. Autre exemple, les bateaux de pacotille: il faut des sanctions dissuasives.
Mais chacun a sa propre sensibilité: Palestine, travail des enfants, femmes en Afghanistan, ... Les cas où dire "non!" sont très nombreux: violences à l’école - les sans abris ....
Le monde est de plus en plus complexe; il génère de plus en plus de problèmes, et tout évolue de plus en plus vite. Or, le cerveau des individus ne va pas plus vite, il a donc des difficultés à suivre le changement.
L'attitude de de Gaulle en 45 à votre égard ?
Ce contact du 16 septembre 44 était une grande comédie. De Gaulle était un "émigré"; il lui fallait prendre le pouvoir, devenir le chef, donc s'opposer à la Résistance. Il a même refusé de reconnaître le CNR! Il a reproché à Leclerc d'avoir permis à Rol-Tanguy d'avoir signé conjointement avec lui la reddition de Paris.
Le hasard a fait que Toulouse a été la première région visitée. J'ai revu le général de Gaulle beaucoup plus tard: il voyait les choses avec beaucoup d'humour.
On a attribué à la Résistance de nombreuses exécutions à la Libération. II y a eu en Ariège 130 morts; beaucoup plus en région lyonnaise; 30 à Toulouse, où l'on avait rapporté que 200 corps flottaient sur la Garonne, alors qu'il n'y en eu aucun!
Le problème des otages tués par les Allemands en représailles des actions de la Résistance.
Oui, l’action de la Résistance a entraîné les prises d'otages.
Pourtant la Résistance a été très sage; il y a eu un vrai débat de juin 43 à mars 44 sur le choix d'une tactique: l’action immédiate, demandée par le CNR, ou l’action au jour "J". On n'a pas trop mal résolu ce problème par l’action loin des villages, ou par le sabotage du matériel plutôt que l’attaque des hommes. Mais on ne peut pas réussir à 100%; il y a eu quelques erreurs, même à Oradour. II faut ajouter que les sabotages ont évité de nombreux bombardements par les Alliés, parfois très meurtriers pour la population.
Nous étions dans une guerre où la France devait retrouver sa place (et de Lattre a pu représenter la France à Reims!). Dans une guerre, on ne peut pas ne pas faire la guerre.
La guerre est tragique, il faut l’éviter. Heureusement aujourd'hui en France nous avons la Paix !
Le refus des 80 parlementaires de donner le pouvoir à Pétain: est-ce de la résistance ?
On doit le percevoir comme un acte courageux, mais la Résistance n’est apparue que plus tard, peu à peu.
Quelles menaces sur la Paix aujourd'hui ?
Aujourd'hui, aucune menace de conflit mondial. L'Union Européenne est une bonne chose, mais il faudra du temps pour la consolider.
Pas de division de la Résistance en France?
Non! il n'y a pas eu de vraie menace en France, au contraire de la Yougoslavie ou de la Pologne par exemple.
Et les Résistants de la dernière heure ?
On parle là des ralliements postérieurs à la fin de la bataille de Normandie, car l’issue de la bataille a été incertaine les premières semaines. Il courait une rumeur sur les armes nouvelles de Hitler. Les V.2, plus rapides que le son étaient imparables: il fallait les anéantir avant leur départ; d'ailleurs une offensive spécifique a été engagée pour détruire leurs bases. On peut signaler le sabotage à Toulouse d'une usine de production de V.4 conçus pour atteindre les USA.
La Résistance de Toulouse n'a pas trop connu de Résistants de dernière heure contrairement à Bordeaux. Dans le Tarn, une compagnie de GMR qui avait participé à l’attaque des Glières aux côté des Allemands (150 hommes avec des armes: c'était tentant) a été éconduite; c'était un retournement de veste tardif.
Dire "On ne marche pas!", est-ce de l'orgueil personnel?
C'est une réaction de sensibilité, pas de raison. En ce qui me concerne, je suis d'origine tchèque, donc alerté très tôt par le fascisme allemand. La trahison de Munich a été terriblement ressentie. Ma mère avait fait de la Résistance dans l’empire austro-hongrois.
Aujourd'hui, feriez-vous le même choix?
Pourquoi aurais je changé?
Mais on ne refait jamais l’Histoire.
La France collaboratrice?
La guerre classique du début s'est complètement transformée avec l’entrée en guerre de l’URSS, du Japon, des USA; c'est devenu une guerre mondiale entre d'un côté la dictature, l'arbitraire, les génocides, et de l'autre l’humanisme, la démocratie, le respect de la personne.
Ce qui met en lumière la forfaiture de l’administration française qui livrait les prisonniers français aux Allemands (centrale d'Eysses).
Les Allemands ont fait 50 millions de morts !
La France collaboratrice était aux côté des Allemands; ses dirigeants, à la fin, se sont réfugiés en Allemagne.
Que se serait-il passé sans l’aide américaine?
Le conflit fondamental était entre Hitler et l'URSS: conflit gigantesque. A la fin, le rouleau compresseur russe avançait de plusieurs kilomètres par jour sur un front de 3.000 km .…
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(1) Romans-Petit
Les Résistants ont dû inventer des méthodes d'action pour les "groupes Francs".
II en a été de même pour les maquis qui sont nés du STO (autre forfaiture du régime de Vichy, c'est-à-dire un crime d'État). Au début, c'était des maquis-refuges pour les réfractaires. Ensuite, ils sont devenus combattants. Dans ce sens, Romans-Petit a montré son efficacité dans l'organisation: ravitaillement, encadrement, discipline, garde, instruction, action. Pas plus de 60 personnes pour la mobilité et la rapidité d'intervention. Il avait une vision globale, par petites actions. Il était surveillé par le BCRA (de Gaulle) et le SPI (Churchill); sa crédibilité s'est accrue considérablement après le fameux "défilé d'Oyonnax" du 11 novembre 1943.